lundi 24 novembre 2014

Mouton - Discours n°11


ou la philosophie du berger



MOUTON : du gallo-roman mŭltōnem, accusatif de mŭlto, mot gaulois et maout, « bélier castré » en breton. Mammifère herbivore de la famille des ovidés, à poils laineux et frisés.
Sens fig. Personne incapable de prendre une décision et qui se contente de suivre un meneur (dit mouton de Panurge). « Ils l’ont tous suivi comme des moutons. »

    Par avance pardon. Pardon pour cet animal si charmant. Pardon a tous ceux qui bergers ou éleveurs, n’ont pas à rougir de manipuler tous les jours le troupeau. Ils ne seront en rien dans mon propos, tenus pour responsable de dictature ou de malveillance envers leurs semblables. La langue Française permet bien des manipulations du sens des mots. Aussi le mot « Mouton », sera employé ici, dans son sens des plus figuré.
Et je conserve toute mon affection à celui qui dans les campagnes… guide ou se laisse guider…

      J’ai pris l’habitude de compter des moutons imaginaires avant de dormir, ça aide pour s’endormir plus facilement. Il y a parfois des situations à en perdre la laine… Car le chemin qui mène à la révolution d’une société, à un changement de comportement, ou à une simple remise en question de son propre mode de vie ; n’a rien d’habituel. Et cela sort même d’une certaine logique.
     Brebis égarée pour les uns, mouton à cinq pattes ou vilain mouton noir pour les autres. Il y en a qui ont quitté le troupeau pour devenir berger. Pas le berger leader, non. Plutôt berger « gardien » de valeurs. Gardien de la cité, gardien de savoir-faire, gardien d’une certaine morale ou éthique. Jardiner, partager, tricoter, écrire ou raconter, chercher, trouver et réussir et créer, ils sont paysans, artisans et artistes, membres actifs d’une association.
     Ils y en a même qui vont plus loin dans la démarche. Et qui bien que restant doux comme des agneaux, deviennent mouton enragé ; homme ou femme, paisible, qui sort soudain de son caractère pour défendre des idées et moutonner (dénoncer en argot). Ils sont zadistes, presses alternatives, autres activistes et révolutionnaires.
Prendre un chemin différent, peut prendre plusieurs formes. Mais la direction est souvent la même : le changement de notre société.
     Mais finalement, sortir du troupeau, c’est croire agir pour le bien de tous. « Croire » ! Car il semblerait que pour le reste du troupeau, cette divergence soit considérée comme le loup dans la bergerie… Car sortir du troupeau, c’est marquer une certaine rupture, c’est se différencier de la masse et s’affirmer. L’individu va être assimilé à un dissident, à une brebis galeuse. Car la marginalisation c’est une forme de dénonciation de ce qui nous tourmente, de ce qui ne va pas dans le troupeau : vivre en marge du système car on n’est pas d’accord. Alors ça dérange, ça questionne et remet en cause chacun d’entre nous et surtout, le troupeau. Le marginal devient le loup et les moutons du troupeau vont s’unir contre lui.
Si bien que souvent le mouton ne peut perdre de plume, le loup, quant à lui dans les histoires, finit tondu comme un mouton.
Mais revenons à nos moutons…

     Qu’est ce que de suivre le troupeau ? Pourquoi est-il honorable (ou pas ?) que des êtres humains suivent sans réfléchir une obligation, une ligne de conduite, ou un acte ? Ordonné ou proposé par un autre semblable, qui se définit comme un chef avec ou sans proclamation.
L’homme est un être grégaire, il s’organise en communauté. Il n’a dans sa majorité, pas pour habitude de vivre en solitaire. Il y a bien sûr aisance à vivre en groupe, en tous cas de figure. Mais il implique de fixer des règles pour toute vie en société. Et plus cette société est grande et plus elle est régie par une organisation qui donne pour chacun, le titre de penser ou de faire,  le titre de décider ou d'obéir. Car si chacun est à faire sa tache, qui peut donc prendre le temps de décider pour le bien commun. Ainsi ont été établis les oligarques . Il est certain que notre organisation actuelle créer un clivage entre décideur et obéissant. Car pour être décideur, il faut peser un poids face à l’autre, se mesurer et montrer que l’on est force. L’élu, le chef ou le dictateur se démarque par sa puissance face aux autres membres de la communauté. Cette puissance est qualitative et surtout quantitative. Elle tient pour unité de mesure, l’argent. Alors notre société est régie par l’économie.
     Mais il y a aussi un sentiment moral d’appartenance. Membre d’une communauté, d’une classe, d’un territoire etc. Il n’est pas toujours bien venu de faire bande à part quand on vit dans un contexte grégaire. Le châtiment de se voir faire bande à part, peut devenir un fardeau porté à vie.
Aussi il est préférable de suivre le troupeau.
     Car se laisser mener c’est garantir bien des avantages. De la sérénité au paraître, ne pas prendre la décision c’est profiter d’un calme tout relatif certes, mais tout de même bien confortable. Car c’est bien  de là que viennent nos problèmes. Le confortable : l’avoir, l’être, le consommé puis le jeté ; conditionne le mode de vie actuel. Et puis en redemander quand la source se tarie, est simple quand la masse l'exige. Car comme pour le reste, seul on est différent, on est rien. En troupeau on obtient ! Pour obtenir gain de cause et préserver son confortable, le troupeau est une force quand il est regroupé. Une force qui peut s’imposer même face à la toute puissance économique du décideur.
Car en réalité le mouton est individualiste mais dans le troupeau ! Cette masse que l’on traite dans ce propos n’est en fait que bien relative. Car elle ne se manifeste que pour préserver son confort. Bien en réalité le mouton est au jour le jour, bien plus replié sur lui-même que solidaire de la masse. C’est ce qui fait sa faiblesse. Le décideur l’a bien compris et il utilise sa force pour maintenir, contenir et diviser le troupeau. L’individualisme n’a rien d’une solution, il faut se défaire de cette idée. L’individu n’existe que dans le rêve de chacun car c’est ensemble que nous vivons.
     Le marginal est une menace pour le décideur. C’est le désobéissant, il se manifeste et créer le trouble. Car celui qui vit en marge du système sort de toute maitrise. La brebis galeuse  en sortant du troupeau, a pris le chemin de l’autonomie. Mais seul, le marginale reste faible mais pouvons nous imaginer la force que peut représenter un troupeau de brebis galeuses ?

     Alors s’il faut un berger, il est certainement plus indispensable d’avoir des moutons. Car c’est en masse que notre société évolue. La force de la masse donne le ton sur l’importance du changement. Le berger n’a que le bâton pour se différencier du reste du troupeau. Car il est lui-même mouton. Et si l’on croit au bâton de berger, il n’est lui aussi qu’une énergie collective. Car finalement c’est toujours le troupeau qui est aux commandes et qui décide de la direction… 


Mikael HARDY, Ecole Paysanne 35




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